Je suis depuis de nombreux mois agité de crises de sinophobie.
Quand je m'énerve je ne vois dans la Chine qu'un énorme blob impossible à arrêter, diviser, dissoudre ou contourner; l'Empire du Milieu est un monstre mou, anonyme et sans visage qui grossit et s'étend de manière géologique : lente mais absolument impossible à endiguer.
Cette semaine je suis allé sur trois marchés différents dans des villes de province. Les étals de fringues, de chaussures, de gadgets culinaires en tous genres le rappellent de manière sournoise : la France profonde ne consomme déjà plus que du Made in China, le Fabriqué en France lui est déjà inaccessible depuis longtemps, trop cher. Il n'y a pas qu'aux cousettes de chez Yves Saint Laurent que cela arrive : c'est maintenant toute la classe moyenne qui ne peut plus acheter le fruit de son propre travail : nous sommes désormais trop chers pour nous mêmes.
Avec nos salaires confortables et notre protection sociale 'world class', nous produisons au-dessus de nos moyens. Ou plutôt, nous produisons au-dessus de nos désirs : notre mode de vie de surconsommation (consommer pour compenser, pour tromper l'ennui, par paresse de fouiller dans les placards) nous a habitués à payer peu et remplacer souvent : c'est absolument impraticable en consommant 100% en Made in France : depuis combien d'années n'ai-je plus aperçu de chemise Made in France à moins de 150€ ?
Le Made in China c'est le miracle permanent : la grande lampe de jardin de Papa ? Vingt euros chez Auchan ! Le grille pain ? Moins de dix euros ! La chaîne hi fi audiophile du frère d'Alban ? La moitié du prix d'une compo anglaise. "A ce prix là Mademoiselle vous pouvez même acheter deux mobiles avec vos points", comme j'ai entendu dire le conseiller de clientèle Orange hier après midi. Ce n'était ni une affirmation théorique ni un trait d'humour : he really meant buying two cellphones and using each of them part time for the fun of it.
De manière insidieuse et durable, nous sommes donc devenus dépendants de ce pays anonyme et insaisissable, que l'on a peine à incarner (le leader s'appelle Hu Jintao pour mémoire), et donc les intentions sont illisibles : la conquête du monde ? la perpétuation de l'idéologie maoiste ? l'expansion du lebensraum chinois ? Rien de tout cela semble-t-il (voir article suivant).
En attendant nous avons besoin de la Chine pour continuer à consommer, et besoin des Chinois pour continuer de vendre. Après tout les plus gros gisements de croissance du secteur du luxe sont désormais là bas.
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